Déplacement #2 - Hugues Loinard

Mobilier urbain, Marfa, TX


Première vision d'un monde dans lequel le corps se déplace le plus souvent sans sa contrainte physiologique.
La largueur de la route semble en effet être un réel lieu de vie et l'utilisation consumériste du véhicule correspond finalement à certaines pratiques nomades  .
La façon dont le véhicule est envisagé se situe bien au delà d'un simple rapport sujet/objet. Le moteur, la roue, l'habitacle le lient à une certaine image du héros. Plus proche de la monture, la voiture est, sur ce territoire contrasté et marqué par une certaine violence que nous avons déjà pu deviner, une extension de la physionomie, un exosquelette, une projection du corps entièrement sacralisé. Cette violence se ressent dans l'omniprésence de la border patrol, la fragilité d'un certain rythme de vie et du rêve américain, la visibilité des limites du territoire, cette inaccessibilité régie par les ranchs, font des alentours un lieu quelque peu agressif, lourd et d'un sérieux à toute épreuve. Pourtant cette frontière entre la gravité contenue dans le paysage et le burlesque de certaines pratiques s'en trouve affinée, presque perméable.

Tout ceci me renvoie à une citation de l'Avertissement de Paul Virilio (Préface de Interior urban design) : "Soudain la circulation tend à devenir "habitable". A l'exemple du mode de vie des civilisations nomades naguère, on assiste à une sorte de retournement topologique où, pour la première fois à l'échelle du globe, il n'y a plus de différence de nature entre l'extérieur et l'intérieur, plus de distinctions entre dedans et dehors"





Puis quelque arrêts, quelques flâneries dans ce qui est accessible de cet immensité, écrasante presque, et il faut bien l'admettre d'une rare beauté. Destination Shafter donc, "Ghost town" perdu dans le désert texan, et un rapport tout autre à l'environnement. Le silence tout d'abord, un calme presque morbide, une petite caravane de six personnes qui se déplacent indépendamment, qui découvrent, chétifs explorateurs de quelque chose qui les dépassent. Et le constat d'une entropie qui transforme ces espaces anciennement habités en paysage. Tout ce qui est laissé, délaissé, et qui relève du déchet ou de l'abandon devient partie intégrante du paysage et fait paysage.



Ruines en briques Adobe, Shafter Ghost town, TX