Etienne Bernard

Etienne Bernard est critique d’art et commissaire d’exposition. Il collabore notamment à la revue française 02. Il est titulaire d’un Master en Esthétique et Sciences de l’Art obtenu à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en 2004. Ses recherches ont porté sur la photographie documentaire de paysage aux Etats-Unis. De 2007 à 2009, il a dirigé le Festival International de l’Affiche et du Graphisme de Chaumont ainsi qu’un programme d’expositions au CAPC Musée d’Art Contemporain de Bordeaux. En qualité de commissaire indépendant, il a mené différents projets en institutions en France comme à l’étranger notamment au Crédac à Ivry-sur-Seine en 2008-2009, à la Krabbesholm Højskole à Skive (Danemark) en 2009-2010 ou au Parc-Saint-Léger à Pougues-les-Eaux en 2010. Etienne Bernard est également enseignant en théorie de l'art à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne à Paris et à l’Ecole Supérieure des Beaux-arts de Nantes.

Claire-Jeanne Jézéquel

« […] Sur un quai de la Seine à Ivry, on inaugurera bientôt une œuvre de Jézéquel faite de deux plans superposés en fonte d'aluminium. Le premier, de forme vaguement trapézoîdale (85x480x850) sera surélevé de 12 à 20 cm selon la pente par rapport au sol, le second, plus lais plus long, ajouré comme une résille, se superposera au premier à environ 10 centimètres. Pour le dessin de cette résille, comme d'ailleurs pour les découpes des oeuvres de 2001-2002, l'artsite s'est inspiré d'un plan de ville. N'est-il pas plaisant de penser qu'une réalisation dans le cadre de la commande publique, destinée ordinairement à s'approprier, voire à dominer un espace afin de le valoriser, soit dans ce cas le résultat d'une sorte de rétraction de l'espace urbain? Et n'y aura t-il pas de quoi rêver devant ces énigmatiques morceaux de laves brillantes, plus en écho avec le fleuve qui s'écoule à côté qu'avec l'idée du monument stable? »

Catherine Millet, « Claire-Jeanne Jézéquel, la dialectique du contreplaqué », In Claire-Jeanne Jézéquel, La Chaufferie, Galerie de l'école, Strasbourg, 2005, Galerie Xippas, Paris, 2005, p.20.



Balcon (pour longtemps regarder), 2006 - 110 x 500 x 800 cm, fonte d’aluminium
commande publique de la Ville d’Ivry-sur-Seine dans le cadre de la 13e Bourse d’Art Monumental (lauréate 2001)
Quai Jean Compagnon, Ivry-sur-Seine Fonderie Ortel, usinage Senpof-Girebronze, piétement et pose Général Métal Études C&E Ingénierie

Pierre Mabille

Depuis 2006, le grand mur du hall d’accueil du Frac est investi par des artistes. La pratique des wall drawing et wall painting permet de faire naître des dialogues pertinents entre architecture et arts visuels.

«Pour le hall du Frac ma proposition rassemble trois questions déclinées dans mon travail : l’impact de la couleur, l’apparition d’une forme et l’amplitude d’interprétation qu’elle ouvre. L’impact coloré repose sur un rapport contrasté de deux couleurs, se manifestant différemment en vision éloignée (à l’entrée du parc, à travers les vitres) et en vision proche, dans le hall. L’organisation globale des formes sur le mur emprunte librement à un principe ornemental, permettant au regard de jouer à cache-cache avec les signes, visibles alternativement en positif ou négatif. Le mur est peint dans sa totalité, dans un jeu optique « all over » de formes/contre-formes, augmenté par la vibration chromatique. Enfin, une liste de mots inscrits sur la baie vitrée propose au visiteur les noms possibles de cette forme». 
Pierre Mabille



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Depuis 1997, Pierre Mabille répète une forme unique, une forme oblongue, dans des peintures de différents formats, de différents supports : « Lorsque j’ai commencé ce travail, je ne savais plus quelle direction emprunter. J’avais le sentiment de produire encore et toujours la même imagerie. Alors je me suis imposé cet exercice : sélectionner une forme dans ma palette de signes. Je la souhaitais difficilement identifiable, ni trop abstraite, ni trop significative, d’une géométrie floue, indéfinissable, ambiguë. Dans mon vocabulaire initial, il symbolisait le cyprès. À l’origine vertical, il était beaucoup plus marqué, rappelait notamment la mandorle, déterminait un haut et un bas. Je l’ai disposé horizontalement. Il a gagné en légèreté. Plus aérien, il m’offre la possibilité de composer en étagement, en suspension, d’oublier le sol et le ciel, donc de quitter l’image » [1]. Cette forme, Pierre Mabille en laisse l’interprétation libre par l’entremise d’une liste associative qui contient 400 termes : « (...) une barque, une Citroën 15 cv 1971 type smn, une boutonnière, un silex taillé, un pétale, une langue, une sucette, une languette, une pierre, un caillou, une bouée (...) ». La simplicité de la forme, son réseau analogique constitue un des enjeux de cette peinture jouant des déplacements minimes : « Avoir constitué la liste m’a délivré de l’enfermement dans l’image. Cette suite d’appellations contient l’imaginaire, mon désir de représentation, me laissant ainsi assembler forme et couleurs à ma guise en une peinture libérée de toute lourdeur interprétative. Peinture qui revêt une apparence d’abstraction sans être vraiment abstraite puisque la liste existe » [2]. Cette forme peut être seule sur le support, doublée, triplée... Cette forme peut être isolée, enchevêtrée, tramée, superposée... Cette forme peut avoir différentes tailles, différentes couleurs, être pleine ou un contour. Cette forme peut être peinte, imprimée, produite par insolation... 


Eric Suchère « Pierre Mabille »– extrait du catalogue Vous êtes ici - FRAC Auvergne, 2006.
[1] Pierre Mabille, La Forme de la couleur, entretien avec Éric Fayet, dépliant de l’exposition au musée d’art Roger Quillot, Clermont-Ferrand 2005, n. p. [2] Ibid.

Jean-Gabriel Coignet

« (Selon Jean-Gabriel Coignet), à l’inverse de cette illusion d’une fusion totale, c’est que toute sculpture balise l’espace de même que tout espace vient baliser la sculpture en un échange certes total mais laissant néanmoins à chaque composante sa part propre (il n’y a pas de fin possible à la sculpture tant qu’il y a de l’espace). Les corps ne se fondent pas mais cohabitent. Rien ne se dissout, tout s’affronte. »

Paul Ardenne,  Jean-Gabriel Coignet constructions et solides irréguliers , La Chaufferie, Stasbourg, FRAC Alsace, Sélestat, La Criée, Rennes,  1997, p.15.



Sculpture Transparente n°8, 1991 -  360 x 1200 x 480 cm, acier peint, Mont Saint-Aignan


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Ana Guérite, 2005 - 225x75x112,5 cm, acier inox, Collège de Morangis, Essonne









Eden Morfaux

Nommant ses œuvres des « constructions autant architecturales que mentales », Eden Morfaux pose la question de la fonction de l’art et de l’usage de l’espace public. Interrogeant la place et les relations humaines dans la société ou encore l’architecture comme puissance symbolique, historique ou sociale, les constructions d’Eden ne cessent de se confronter au réel. Les problématiques des rapports entre architecture et sculpture sont extrêmement riches sur de nombreux plans : historique, esthétique, formel, théorique… Proches de certaines théories Situationnistes, ou encore des happening Fluxus, ses pièces invitent à un usage indéterminé et à l’expérience : elles révèlent l’espace, un possible, une impossibilité : une « construction concrète d'ambiances momentanées de la vie » (Guy Debord).

Le travail d’Eden Morfaux invite à l’expérience et à la confrontation. Il cherche à montrer comment l’architecture conditionne les relations entre les individus. Souvent inspiré des formes minimales et abstraites, son travail acquiert une autonomie esthétique et formelle. En 2007, il place des Pupitres blancs dans les rues de Paris. Il ne souhaite pas que les gens prennent la parole dans l’espace public, il veut avant tout créer une image : celle d’un espace public sans parole. Ainsi, il mène tout un travail sur le contexte et « le ré-investissement ». Avec Foyer, il crée un espace avec une forte charge symbolique et spirituelle. Il s’agit d’une sculpture autour du feu, le feu primitif, le foyer. La sculpture n’existe qu’autour du feu et avec du public, elle n’est donc pas simplement une « architecture » mais plus un évènement, un happening. Sans être activée, elle n’a pas de sens, elle ne dit rien et demeure mystérieuse. La référence majeure de cette œuvre, ce sont les lieux, comme Stonehenge, dont on ne connaît pas la fonction mais qui sont construits par l’homme pour l’homme. Par ce principe, la sculpture crée sa propre mythologie.

Avec la série des Reliefs Concrets, Eden Morfaux utilise également l’esthétique et le dessin architectural dont il développe la dimension de « ré-interprétation ». Ces reliefs en béton sont réalisés à partir de photographies de façades d’immeubles. Après un travail de dessin, seuls la dimension graphique et le motif de la façade apparaissent en relief. Les éléments en béton de la façade de l’immeuble en constituent le dessin. L’effet de perspective et l’accrochage vertical sont conservés pour relier le dessin à son origine tridimensionnelle. La série de photographies intitulée Réalité augmentée fonctionne comme un révélateur. En photographiant un paysage au sein duquel il a pris le soin d’installer un carré blanc, Eden nous invite à investir et à nous approprier un espace neutre. Le concept de réalité augmentée vise à compléter notre perception du monde réel, en y ajoutant un élément fictif. Il s'agit donc bien d'une réalité augmentée par la présence de la sculpture. Ne perturbant pas la lecture de la photographie, cet espace plein autant que vide plonge le spectateur au cœur d'un monde à la fois réel et virtuel. Le spectateur devient acteur en interagissant avec l’espace créé. Dans l’ensemble de son œuvre, Eden Morfaux mène autant un travail de construction que de déconstruction.
 


Clément Nouet, Construction de Situations, Août 2010








Pupitres, 2007 -  80 x 60 x 120 cm, bois mdf, peinture acrylique