Déviations - Hugues Loinard


Escaliers modulables, prototypes en bois aggloméré, 37x40x60 cm








     La ville en tant que surface de déplacement et en tant qu'espace hétéroclite, fait de courbes, de droites, de pentes, d'étendus, de passages, parfois étroits, de cul-de-sacs, ou de murs… d'espaces praticables ou non. La ville en tant qu'ensemble d'équipements publics, d'objets quittant par entropie leur paradigme construit autour de leur fonctionnalité. Ces objets ou structures oscillants entre leur raison d'être originelle et leur basculement dans la réalité détiennent un secret qu'à mon sens il faut extirper, rendre visible, rendre accessible. 
     Ce projet encore à l'état embryonnaire prend la forme de 7 prototypes en bois reconstitué ayant un statut de sculptures modulables. Ils se définissent comme un moyen  d' aborder l'espace public d'une manière autre, soit par le regard, soit par l'expérience concrète. L'intérêt  autant esthétique que fonctionnel, porte sur nos habi(atti)tudes urbaines. 
Ces formes empruntées   aux escaliers, ou à quelque autres marches, paliers ou  perrons , permettent ainsi de créer une circulation inhabituelle voire absurde à travers le paysage urbain. Encourageant le flâneur à accéder à des micro-espaces oubliés par la marche, elles empêchent momentanément le contact semelle-asphalte.
     L'intrusion dans l'espace et mon état en intervention révèle certains souvenirs d'enfance du jeu. Comme un gamin avec quelques pièces de lego à la main, La composition est intuitive, elle créait une narration simple voire anecdotique dans laquelle, un corps va pouvoir évoluer jouant d'une in-héroïque ascension.


Quelques mots de Claude Parent


Parmi les cent entrées, les mille clés de la fonction oblique, je choisirai donc pour commencer d'analyser la notion d'ESPACE INVESTI OU PRIVATIF. Le shéma classique est simple et élémentaire.
Lorsqu'un homme décida puis imagina de réaliser, de "construire" un espace privatif, que ce soit sous l'impulsion de la protection, sous la nécessité de la singularité ou sous tout autre pulsion, il édifia l'ENCLOS. Plus que l'annexion d'un espace préexistant (grotte, caverne, etc.) la mise en place d'un enclos même si le fait d'être sans toiture ne permet pas de le ranger dans la catégorie habitation, constitue vis-à-vis du sol la première manifestation volontaire dans le domaine de l'acte de bâtir. Créer un enclos implique la détermination d'un obstacle au parcours. Le tracé de la circulation directe tirant une ligne droite de A à B est perturbé par l'interposition de l'enclos C. L'espace privatif C doit être contourné pour se rendre de A en B. L'agglomération des individus en espaces privatifs faite dans la forme du village, du bourg (en survolant rapidement les étapes) circonscrit le parcours anciennement libre de A en B, l'inscrit dans les zones interstitielles de ces espaces enclos. 
La "CIRCULATION" est née. Elle est DISSOCIEE de "l'habitation". Il y a divorce entre les espaces privatifs destinés à l'habitation et les espaces communautaires d'accès d'un espace privatif à un autre, ou de la traversée de l'assemblage de ces espaces.
L'ère moderne  de la répartition des espaces est commencés. La ville actuelle n'en est que l'aboutissement sclérosé. Aucune invention relevant de la structure de l'espace n'a été révélée dans ce domaine du rassemblement des hommes dans ces lieux de prédilection depuis des millénaires. Nous vivons depuis toujours sur le même shéma élémentaire. Dissociation des deux fonctions de base de la  dynamique urbaine: circuler et habiter. Rassemblement HORIZONTAL des espaces habitables  suivant le mode de juxtaposition.

[...]

Or la seule structure d'investissement spatial en dehors de l'horizontale caduque et de son corollaire abstrait et hérétique la verticale, est la STRUCTURE OBLIQUE.

Analysée du point de vue élémentaire de sa mécanique spatiale, la structure oblique présente les avantages suivants:

1- L'espace privatif C peut être parcouru à sa surface extérieure puisqu'il est incliné donc "gravissable" sans plus faire obstacle au parcours direct de A à B. Il n'y a plus d'obstacle imposé par le fait de rendre l'espace C privatif. Le premier principe de la fonction oblique est donc celui de l'OBSTACLE SURMONTABLE.

2- Cette première proposition permet de distribuer les différents espaces privatifs par la surface extérieure que l'on utilise en complète liberté pour circuler. L'espace communautaire d'accès réservé jusqu'alors à la circulation n'est plus canalisé entre les différents espaces privatifs. Il est partie intégrante de la structure constitutive de ces espaces — on voit que la circulation  est associée à l'habitation et non plus dissocié comme dans la structure horizontale. Le deuxième principe de base de la fonction oblique est celui de l'INTEGRATION DE LA CIRCULATION A L'HABITATION.

En corollaire, il faut préciser que cette structure implique que les deux principes doivent absolument respectés à l'intérieur même de l'espace privatif au même titre que dans l'espace urbain. On aboutit ainsi à la notion de la CLOTURE PRATICABLE et à celle de la CIRCULATION HABITABLE.

Pas de fonction oblique en dehors du respect absolu de ces deux principes.

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Extrait de la réédition en fac-similé réduit de l'ouvrage  paru en 1970, "vivre à l'oblique", Claude Parent