Recherches - Hugues Loinard



Véhicule arrosoir, Marfa, Tx

Au détour des rues de Marfa, à quelques "blocks" de notre foyer d'acceuil, une sculpture incroyable s'offre à moi. Après avoir traversé les rues pleines d'objets en tout genre, abandonnés, gisants sur des trottoirs inutilisés, les voici assemblés, réactivés par un besoin extravagant en plein désert celui d'arroser sa pelouse.
Une occasion d'introduire quelques propositions de travaux, de rechercher, et de penser à nouveau le déplacement dans l'espace public et bien sur dans l'espace privé.


Toit véhicule, croquis


croquis - Hugues Loinard

Sans titre, dessin assisté par ordinateur






Camille Tessier Projet de meuble

Comme expliqué dans le dossier envoyé par mail il y a quelques semaines, j'aimerai réaliser un meuble. Il aurait plusieurs fonctions: celui de bureau, paillasse de laboratoire ainsi que support de monstration pour des travaux types dessins, peintures, objets trouvés...Il serai situé en pleine nature pour que je puisse travailler dessus, in situ, préparer des pigments avec des roches, de la terre avec mon mortier et mon pilon et les appliquer sur des feuilles de papier  Ce projet de mobilier a été pensé avant mon arrivée à Marfa. L'idée est de le réaliser avec des matériaux récupérés. Je ne savais justement pas si je pouvais trouver des matériaux sur place, dans les rues ou les poubelles, si la ville serait nettoyée avec minutie, sans aucuns détrituts à grapiller. Il se trouve que j'ai de la chance. Marfa pulule de maisons à vendre, de ruines, de matériaux divers abandonnés: verre, bois, clous, boulons, morceaux de bétons et bien d'autres choses. Par moment cette ville ressemble à une décharge à ciel ouvert. Le meuble sera donc potentiellement fabriqué avec mes trouvailles. Il s'agit d'adopter une politique de recyclage, de réapropriation des matériaux à travers cet objet.

 
                                          Objets récoltés dans Marfa et ses environs.



Véra Delebecque


Rémy Albert "Du souffle de la poussière au bruit du vent"

Une ventouse qui retransmet les ondes sonores ou
comment improviser une enceinte avec un arrosoir

Observation d'un baril de pétrole et de son incidence sur le son

Un cadre idéal pour réaliser une "distillation" sonore

Enregistrement des ballets de poussière dans le désert

    Si ma fascination pour la poussière est toujours au coeur de mes préoccupations, la ville de Marfa est l'occasion d'une réflexion sur la transmission du son. Le site de la station Texaco peut être envisagé comme une véritable distillerie sonore où le bruit se transforme lors du passage répété dans les barils de pétrole. Chaque son est ré-enregistré après sa transformation dans le baril puis rediffusé dans le baril suivant, et ainsi de suite.

Hugues Loinard


Véra Delebecque








Depuis mon arrivée à Marfa, j'ai commencé une série de photographies, une sorte de répertoire de formes, de couleurs, de matières. Mon regard s'accroche sur les ombres formées par les angles de mur, les découpes des bâtiments, qui crée une géométrie.
L'espace nous éprouve, le désert nous éprouve. Comment réussir à se placer, à s'inscrire dans ce paysage? Là où le ciel prend une très grande place, dans notre champ de vision, dans notre vie et influence nos déplacements. Comment regarder ce qui nous entoure? Aller au delà du paysage, créer un cadre, faire un zoom. Passer de l'infiniment grand à l'infiniment petit. Réaliser un instrument de vision pour un espace lunaire.


En 8 jours, près de 15000 kilomètres avalés en 14 heures de vol et 4 heures de route. En 8 jours, la pluie diluvienne des abords du Golfe du Mexique, le soleil écrasant et le froid glacial de la nuit du désert. En 8 jours, 7 musées parmi lesquels certaines des plus grandes collections de la Menil de Houston à la Chinati de Marfa, 2 jours de symposium en anglais, deux projections de films, des artistes rencontrés, des points de vue, des désirs, des étonnements, des émotions échangés. En 8 jours, des burgers, des dromadaires, des huitres frites, une ghost town, des steaks à la braise, des éclairs et de la pétanque dans le désert, quelques bières, un zest de tequila...
Bref, en 8 jours, la petite troupe nantaise en a pris plein les yeux, plein les méninges, plein les oreilles, plein les papilles, plein, plein, plein... Oui, mais voilà, 24 heures après, ici à Marfa, qu'est-ce qu'on va bien pouvoir en faire et comment, sur ce blog, en rendre compte? Verser dans le récit de vacances aurait été bien trop simple, alors chacun de nous a choisi de s'arrêter le temps d'un post sur ce que son regard a pu saisir dans ce tourbillon d'influences et d'informations. Il ne s'agit pas encore ici de pièces mais bien de matière qui alimente le désir et qui va aider à partir d'aujourd'hui à construire.

Emmanuelle Boccou



Trajets

Comment  le rendu plastique où l'oeuvre peut il s'inscrire dans un lieu sans toutefois être omniprésent?  J'aimerais agir de façon à peine perceptible sur un environnement que je ne veux pas "polluant" aux yeux des autres, alors que mon intention première serait de l'embellir ou de montrer l'espace d'une façon différente. En effet, le point de vue sur un travail plastique installé dans l'espace public est toujours personnel et subjectif.

Ce questionnement me ramène au symposium. Katarina Hohmann nous a présenté des travaux sur l'entropie; la dégradation, le chaos et le désordre étant la base d'un travail plastique pour beaucoup d'artistes. Cependant, la conférence était une sorte de catalogue d'oeuvres, allant de Sonia Kacem à Tobias Von Mach, en passant par l'évocation de Jeremy Rifkin. L'accumulation de "déchets"ou d'objets récoltés sur mes trajets étant souvent une base de matériaux dans ma pratique ("nature morte", "bureau mobile""dérives"…), je m'interroge sur cette l' idée de "déchet". En effet, ce qui semble désuet  ou inutile pour certains peut être précieux pour d'autres . Une discussion avec Francois Fixot (collectionneur d'art et de formation scientifique) m'a simplement permis de relativiser sur cette notion d'entropie, qu'il trouvait utilisée à tord et à travers dans l'art. Selon lui, l'observation d'un élément ou d'une particule empêche d'observer le reste de ce qui se passe autour. De même, une palette de bois devient un déchet lorsqu'elle n'a plus d'utilité, alors qu'elle peut servir de bois de chauffage pour quiconque en aurait le besoin. En bref, tout dépend du "regardeur" ou de la façon d'apprécier la chose, selon son propre intérêt .
Ici, à Marfa, nous nous trouvons souvent dans des espaces délaissés ("ghost town"…), parfois meurtris de friches ou de sacs plastiques accumulés sur des cactus. Cette apparente disgrâce me semble au contraire totalement charmants ou pourvoyeur de créativité et d'envies. En arpentant cette ville et ses alentours, et dans un soucis de cinéplastique (ou l'on met en mouvement pour produire), je me suis particulièrement intéressée à la voie de chemin de fer qui relie un espace à un autre, évoquant le voyage ( Jack Kerouac et la beat generation…), les piétons planétaires tels qu' Orozco, les Stalkers, ou Francis Alys.  Cette voie souligne l'espace mais aussi le temps, donnant un rythme à la ville et arpentant un désert au rythme régulier d'un métronome.

Déplacement #2 - Hugues Loinard

Mobilier urbain, Marfa, TX


Première vision d'un monde dans lequel le corps se déplace le plus souvent sans sa contrainte physiologique.
La largueur de la route semble en effet être un réel lieu de vie et l'utilisation consumériste du véhicule correspond finalement à certaines pratiques nomades  .
La façon dont le véhicule est envisagé se situe bien au delà d'un simple rapport sujet/objet. Le moteur, la roue, l'habitacle le lient à une certaine image du héros. Plus proche de la monture, la voiture est, sur ce territoire contrasté et marqué par une certaine violence que nous avons déjà pu deviner, une extension de la physionomie, un exosquelette, une projection du corps entièrement sacralisé. Cette violence se ressent dans l'omniprésence de la border patrol, la fragilité d'un certain rythme de vie et du rêve américain, la visibilité des limites du territoire, cette inaccessibilité régie par les ranchs, font des alentours un lieu quelque peu agressif, lourd et d'un sérieux à toute épreuve. Pourtant cette frontière entre la gravité contenue dans le paysage et le burlesque de certaines pratiques s'en trouve affinée, presque perméable.

Tout ceci me renvoie à une citation de l'Avertissement de Paul Virilio (Préface de Interior urban design) : "Soudain la circulation tend à devenir "habitable". A l'exemple du mode de vie des civilisations nomades naguère, on assiste à une sorte de retournement topologique où, pour la première fois à l'échelle du globe, il n'y a plus de différence de nature entre l'extérieur et l'intérieur, plus de distinctions entre dedans et dehors"





Puis quelque arrêts, quelques flâneries dans ce qui est accessible de cet immensité, écrasante presque, et il faut bien l'admettre d'une rare beauté. Destination Shafter donc, "Ghost town" perdu dans le désert texan, et un rapport tout autre à l'environnement. Le silence tout d'abord, un calme presque morbide, une petite caravane de six personnes qui se déplacent indépendamment, qui découvrent, chétifs explorateurs de quelque chose qui les dépassent. Et le constat d'une entropie qui transforme ces espaces anciennement habités en paysage. Tout ce qui est laissé, délaissé, et qui relève du déchet ou de l'abandon devient partie intégrante du paysage et fait paysage.



Ruines en briques Adobe, Shafter Ghost town, TX











Repérage à Marfa






 En se baladant récemment dans Marfa, un bâtiment a retenu mon attention. Il est à vendre et s'apparente à un ancien garage. Il rassemble pour moi de nombreuses qualités esthétiques qui répondent à mon idéal architectural. C'est en fait son aspect général qui me plaît: la disposition des murs qui forment des pièces intérieures que l'on essaye de s'imaginer en les observant. En regardant le bâtiment je transpose directement beaucoup de fantasmes, de transformations que j'aimerais opérer dessus. Ses couleurs actuelles ne me conviennent pas. J'imagine plutôt des tons toniques, vivants, qui contrasteraient avec le paysage environnant, désertique, sec, blanc, beige.

Les deux pilonnes qui soutiennent un plateau aérien pourraient servir de tuteurs pour des plantes grimpantes. Les portes du garage seraient remplacées par de grandes baies vitrées, invitant la lumière et le regard du passant. Le sol de béton laisserait place à un jardin de terre pensé dans un esprit sauvage mais structuré en même temps: herbes aux couleurs diverses, plantes luxuriantes, pots en céramique, quelques babioles récupérées ou bricolées serviraient à décorer cet endroit. Une petite terrasse y serait également aménagée ainsi qu'un plan d'eau rectangulaire perdus dans cette jungle.


Rémy Albert "Dust in the wind"

Poussière soulevée lors du passage d'une voiture


Empreinte de main révélée par la poussière

Adobe, briques fragiles de poussière compactée


Tourbillon de poussières


   La poussière est partout. Elle nous entoure, omniprésente, aérienne ou entassée. Envahissante jusqu'à l'étouffement, elle s’immisce dans nos intérieurs, s'accumule dans les recoins et recouvre les objets négligemment abandonnés. Cette matière imprévisible, désolidarisée et symptomatique de l'effacement incipiens, n'épargne pas la ville de Marfa. Les quelques coups de balai pour repousser ce nuisible à l’extérieur ne sont finalement que de vaines tentatives; soulevées en nuages, ces particules retombent soumises à une inexorable décantation. Au fur et à mesure, avec le temps et à l'usure, la poussière s'est imposée dans le paysage urbain et dans le quotidien des habitants résignés de la ville texane comme le témoin de nos activités, trajets, de nos moindres faits et gestes.



Mercredi 14 mars.

Un cadre se créé, une image se forme. Les lumières se déposent sur les formes et créent un paysage. Le ciel est gris, bleu, blanc, vert. Je distingue deux bandes blanches. Mes yeux se baladent dans la peinture que j'ai sous les yeux. Un point rouge. Le toit d'une maison passe du bleu au noir. Une bande blanche. Une surface beige rosée. Un dessin se crée au sol. Je distingue les imperfections de la terre, je perçois son dénivelé. Je me déplace, il fait noir. Un lampadaire éclaire un amas de sable en coin de rue. Quelques bouts de verres reflètent la lumière. Il fait de plus en plus noir. Cela semble irréel, ou justement trop réel pour ne pas avoir été mis en scène. La poussière marron sable de la terre se répand sur le sol et semble se dissoudre sur la route. Je pourrais rester là des heures à regarder le film de la vie se dérouler devant moi.