Candidature Marfa


NANTES, territoire d’expérimentations.

 Après cette première expérience dans l’espace public, j’ai décidé de continuer l’aventure pour ce nouvel opus 2011/12.  Comment continuer un travail mais différemment ? Quels liens tisser avec ce qui a existé et ce qui va exister ? Comment (ré)appréhender un espace (public) connu ? Comment affiner son propos ? Voilà un petit aperçu des questions que je me pose depuis le début de l’année.
Mon travail évolue, mes choix s’affinent, j’y vois plus clair. Mais la question principale est toujours là ; comment habiter le monde, en tant qu’artiste, femme, être ?
Qu’est-ce que ce monde qui nous entoure ? Qu’est-ce qu’un espace dit public ? Un espace qui appartient à tous et à personne ? Est-il le même en France, à Nantes qu’aux Etats-Unis, à Marfa ? Allons nous le traverser de la même manière ? Allons nous avoir ce même sentiment d’étrange familiarité qui nous mettra à l’aise et fera qu’en peu de temps nous n’observerons plus rien ?
Comment ce paysage, qui habite notre vie devient invisible ? A partir de quel moment ?
De quoi est fait ce rien dans l’espace public ; là où tout est visible ? Il y a pourtant des choses que l’on ne voit plus et qui font partie de notre quotidien. Ce vide qui est à la fois territoire, architecture, structure, surface, matière. Comment se placer face à ce rien, ce vide qui nous entoure ? Est-il possible d’apprivoiser les limites de notre vision, d’agrandir notre cadre de vue ? Comment rendre visible l’invisible, l’oublié ou le trop visible ? Qu’en est-il du rien à Marfa, est-il le même ?


MARFA, nouveau contexte.

  Parallèlement à tout ce qu’on a tenté de faire en essayant d’apprivoiser l’espace public Nantais, Donald Judd nous déstabilise en choisissant un lieu qu’il fera sien, ou plutôt que son œuvre fera sienne. Marfa, petite ville Texane qui n’a d’autre intérêt à l’époque que d’être un croisement de deux autoroutes, où l’artiste décide de s’installer et d’y faire le nouveau croisement artistique de ces œuvres et de celle de certains de ces amis (Dan Flavin, Carl André entre autres…)
Il s’approprie très vite les lieux en achetant des terrains puis décide de racheter l’ancienne base militaire qui accueille plusieurs bâtiment qu’il consacrera à son travail et celui de ses camarades.
Ces grands bâtiments ne sont pas seulement des lieux d’exposition ou des lieux de travail mais aussi des lieux de vie. Ce qui est souligné par ces lits que Judd installe afin de pouvoir se reposer au cœur même de son œuvre. Ce qui est une bonne manière d’habiter l’œuvre, de la regarder, de s’y confronter.
Donald Judd se fabrique son terrain de jeu, son propre espace, sans contrainte. Il est alors libre de tout, de toutes expérimentations/expériences. Aux mesures du paysage américain et de ses immenses champs de possibles, Judd s’amuse sans démesures à construire le lieu idéal pour son travail, son lieu idéal.

 J’aimerais aussi parler du travail de James Turrell, qui lui aussi a réussi à mettre un lieu au service de son art, et même plus. A ses débuts, il s’approprie un hôtel abandonné pour y faire son espace des possibles. (Au Mendota Hotel, Ocean Park, Californie) Il s’essaie au travail de la lumière, il se fait apprenti d’une architecture qu’il découvre et qu’il fait sienne, en l’expérimentant. Il se découvre. Puis il travaille l’espace d’une galerie dite parfaite car inexistante, ce fameux White Cube, qu’il rempli de vide. De vide incandescent, qui nous frappe, et nous déstabilise.  (Blood Lust, 1989. Installation. Paris, Galerie Froment & Putman). Ce travail de lumière se donne à voir au bout d’un certain temps, il se mérite. On se retrouve sans repère, sans cadre, sans chose à voir alors que tout est là, visible. Et puis afin de poursuivre sa quête colorée dans la lumière, il « s’attaque » au Roden Crater, cratère situé en territoire Hopi, dominant une immense région désertique.  Lieu où il s’est consacré et se consacre encore aujourd’hui à transformer ce site naturel en site d’expérimentation artistique où tout devient possible avec ces Viewing chambers , là où se construit « tout un champ d‘expériences sensibles confrontant et rassemblant le ciel et la terre. »
G. Didi-Huberman : L’homme qui marchait dans la couleur    p. 74/75

Comment un artiste peut-il mettre un lieu au service de son art et non l’inverse ?
Comme nous le faisons avec le projet « accident de parcours », où nous tentons de faire exister nos œuvres dans un espace qui n’est pas pensé pour recevoir des œuvres.
Comment construire une architecture pour l’art ?
Judd et Turrell viennent répondre à leur propre demande, en choisissant des lieux spécifiques pour leur travail.
Judd, crée un contexte vraiment particulier autour de cette petite ville qu’est Marfa, il la fait vivre de son art. Il s’installe partout, plie l’architecture de la ville pour ses œuvres. Il a une mainmise sur tout, et surtout décide de quand et comment sont montrées ses œuvres, de la lumière, etc…  Tout est orchestré par Judd, mais surtout par son œuvre. On peut même dire qu’il travaille au service de ses œuvres.


 LE DESERT, ou l’infini des possibles.

  Alors comment s’inscrire dans un nouvel espace, une nouvelle nature ?
Comment appréhender un nouveau territoire ? (Est-il vraiment si nouveau, ce paysage américain que l’on fréquente depuis toujours dans les médias et au cinéma?)

Comment ne pas être attirée par cette force ? Comment ne pas ressentir le désir de vouloir se confronter à cette nature ?  De la faire nôtre pendant un temps, d’y vivre, d’y travailler, jusqu’à l’oublier.

 Il reste encore quelques soupçons, zestes de romantisme quand on pense à ce paysage idéal, cette force de la nature ou tout semble démesuré et possible. S’ouvre alors devant nous une immensité, un infini de possible, un horizon sans cadres ni limites. Où les sentiments d’invitation, de perdition, d’absorption et d’abandon se mélangent. Cette immensité fait partie de la vie de tout un chacun, ces routes désertes et silencieuses que tout le monde arpente, ce silence omniprésent. Cette force du désert fait partie d’un quotidien que l’on oublie une fois installé, elle devient naturelle, et donc presque invisible.
Comme le dit Georges Didi-Huberman, le désert n’est il pas l’endroit le plus à même de nous faire éprouver ce sentiment de vide ?
« Sans doute n’est-il pas besoin d’un désert pour éprouver en nous cette contrainte essentielle à nos désirs, à notre pensée, à nos douleurs, qu’est l’absence. Mais le désert - spacieux, évidé, monochrome - constitue sans doute le lieu visuel le plus approprié pour reconnaître cette absence comme quelque chose d’infiniment puissant, souverain. » L’homme qui marchait dans la couleur  p.11
Suite


« L’unicité de conception fondamentale réside dans le genre d’espace qu’emploie l’artiste, et le genre d’espace qu’il utilise déterminera comment la couleur, le trait, la texture, le clair-obscur et chaque autre élément contribuent à ce mouvement. »  Mark Rothko, La réalité de l’artiste, p. 91.

 Cette phrase de Mark Rothko met en avant le choix de l’artiste face à l’espace qu’il projette dans son travail, et qui déterminera toute son œuvre.
Comment trouver son propre espace ? Comment le faire sien ? Comment réussir à échapper aux lieux communs et à affiner nos choix ?
L’espace le plus vaste et qui offre le plus de possibilité, n’est-il pas la Nature elle-même ?
Comment s’y confronter ?
Comment réussir à y trouver sa place ? A y laisser une trace ?
Comment réussir à représenter une telle étendue ?
A travers mes dernières recherches plastiques, notamment mes dessins aux pigments, j’ai tenté de me confronter à cette immensité en essayant de retrouver ce que l’on peut ressentir lorsque l’on est face à elle. On est à la fois englouti, envahi, déséquilibré par cette force qui nous traverse et nous fait face. Elle nous fait prendre conscience de notre “être là”. Et en même temps, nous invite vers une multitude de possible.
Avec la série de trois dessins-structures de 3,40/3,50m, j’ai tenté de retrouver ce sentiment d’envahissement que l’on a lorsque l’on est confronté à une étendue. Cette étendue s’appréhende, demande un temps d’observation. Elle nous happe, mais en même temps nous rejette, il faut s’y confronter un moment pour qu’elle s’ouvre à nous. Il faut la mériter. Et quand on y est, on se perd à travers elle, puis on se laisse emporter par notre regard qui guide notre imagination et vice versa.
C’est alors qu’on découvre un nouvel endroit, un lieu, un paysage...

 « Avant l’intervention humaine, le Roden Crater n’est qu’une nature, certes puissante et imposante, mais ce n’est pas encore un lieu. »
Georges Didi-Huberman, L’homme qui marchait dans la couleur  p.76.

La nature ne devient lieu qu’après l’intervention de l’artiste.


                         Je ne demande qu’à inventer de nouveaux lieux.







Sans Titre, novembre 2011
Dessins-structures
340/350/10cm
Pigment sur toile de coton.











Sans titre, mai 2011
Dessins,
10,5/15,5 cm
Pigment et poudre graphite sur papier.
(Sélection de six dessins tirés d’une série de 14).








Sans titre, mars 2011
Sérigraphie,
75,5/110 cm env.
Encre de sérigraphie sur plaque de métal.
 

"Doors of perception 1", 2011, quartier Guist'hau. Bois, porcelaine, judas, installation électrique, 180×90×5




Lors de la première guerre mondiale, le lycée Guist'hau est converti, en partie, en hôpital. André Breton est alors mobilisé comme interne en médecine et fait la rencontre d'un jeune dandy nantais hospitalisé (Jacques Vaché). Ce dernier, érudit et provocateur, prône "l'umour" sans "h", enseigne à Breton la vanité de l'art pour l'art, et l'éloigne du symbolisme. Cette rencontre sera déterminante pour A. Breton chez qui  germe déjà le surréalisme.
 En Novembre 2010, un internaute (professeur des écoles) s'est vu privé de compte facebook après avoir affiché sur son profil le tableau "L'Origine du monde" de Gustave Courbet car il représente un sexe féminin.
C'est donc dans ce contexte que j'ai choisi d'installer dans l'espace public une porte venant combler une ouverture condamnée par des parpaings. Le "curieux"ou "voyeur"  qui regarde dans le judas peut observer une image représentant le tableau de Courbet. Cette installation fait aussi référence à  "Etant donné 1)La chute d'eau 2)le gaz d'éclairage " de Marcel Duchamp (réalisé entre 1946 à 1968  dans le plus grand secret). Les références autant historiques qu'artistiques sont à l'origine de ce projet et ont motivé cette installation.

Rémy Albert "ce tag est momentanément indisponible"



  Au cours de promenades, déambulations hasardeuses ou trajets quotidiens, il est fréquent de voir fleurir des tags sur les façades et murs qui longent notre parcours. Ces marques - banalisées au point de devenir partie intégrante du paysage urbain - apparaissent comme des tentatives d'appropriation d'un espace et d'insertion du nom de leur auteur dans une mémoire collective. 
    L'intervention opérée près de la station Motte rouge consistait à recouvrir de feuilles blanches adhésives la totalité des tags réalisés sur un même mur. L''action de camouflage semble libérer la surface de toute revendication spatiale en niant la présence de ces signatures. Dans un élan contraire, l'inscription "ce tag est momentanément indisponible" souligne la présence du tag en invitant à en constater l'absence. Il s'agit là de témoigner d'un manque - au même titre qu'une fiche dite "fantôme" matérialise l'absence d'un livre sorti d'un rayon ou d'une oeuvre déplacée d'une réserve - et d'instituer l'absence comme signifiante.
  Le terme "momentanément" renvoie au temps pendant lequel l’adhésif entretient ses propriétés de masquage. Après avoir été arrachée ou décollée par les intempéries, la phrase en cessant d'exister laisse de nouveau apparaître le tag. 


Ce tag est momentanément indisponible (détail), 2011,
dimensions variables, impression jet d'encre sur papier adhésif,
station Motte rouge, Nantes

Constellation / Lycée Guist'Hau / Dec 2011


Art, temps et évolution urbaine.

 Le texte suivant est celui d'une communication que j'ai donnée lors du colloque Art, Temps et évolution urbaine, organisé par la galerie municipale Fernand Léger d'Ivry-sur-Seine les 9 et 10 décembre 2007. Ce colloque constituait une occasion de réfléchir au devenir de la "bourse d'art monumental" attribuée tous les 2 ans par la ville d'Ivry (initiée en 1976, bi-annuelle depuis 1981, cette bourse était une forme très originale de commande publique, malheureusement supprimée désormais).
J'y évoquais mon expérience à Ivry (voir post précédent) et les réflexions que m'inspirent la commande publique et la relation de l'oeuvre à l'espace public en général.

Ces réflexions sont pour moi toujours d'actualité et me paraissent en phase avec les débats que nous avons dans le cadre du groupe de travail "accident de parcours", c'est pourquoi j'ai souhaité le publier ici.


"Transformation urbaine ?
Voilà une question que j’aurais du mal à trancher à partir de l’expérience que j’ai menée à Ivry de fin 2003 à fin 2006, avec quelques éclipses, des heurs et des malheurs comme il se doit.
J’ai été désignée lauréate lors de la 13e bourse d'art monumental d'Ivry-sur-Seine en 2001. Depuis longtemps la nature de mon travail de sculpteur, et en particulier le rapport à l’espace construit que souvent mes oeuvres entretiennent,  faisait dire à l’une ou l’autre des personnes qui me font l’amitié de le considérer, qu’il serait bon de le confronter à l’espace urbain, et la formule « commande publique, commande publique » résonnait souvent à mes oreilles, comme une incantation, une invite insistante


Lors de l’inauguration de mon oeuvre j’avais cité, en guise de salut, Fernand Léger parlant de « ses amis les pylônes ». Finalement, si je me suis décidée à concourir pour la bourse, c’est bien sûr parce que je partage avec Léger cette « amitié » et cette fascination pour les formes de la ville en général, mais aussi parce que je souhaitais, le cas échéant, que ce travail dans la ville soit aussi le reflet d’une amitié pour celle-ci en particulier, cette amitié se traduisant par une fréquentation, pas quotidienne dans mon cas mais bien réelle cependant, par le biais du centre d’art(le Crédac et la galerie municipale) d’abord, du travail ensuite (j’ai plusieurs de mes fournisseurs à Ivry), de la proximité enfin (je suis presque voisine). Je voulais cette proximité car je voulais être libre de fréquenter ce lieu autant que nécessaire, sans me sentir parachutée,comme un candidat à la conquête d’une circonscription, ou comme le commis voyageur de la commande publique.Surtout, sans craindre de perdre du temps, au contraire, dans une flânerie ou une rêverie sur place, exactement comme le temps perdu à l’atelier participe entièrement de l’élaboration des oeuvres.


L’enjeu pour moi a été de définir le niveau d’inscription de mon intervention dans l’espace public. La question de la dissolution de l’oeuvre dans le monde des objets non-artistiques est une question qui m’intéresse beaucoup. Mais jusqu’où doit aller cette dissolution ? Doit-elle être réalisée ou apparaître comme une possibilité vers laquelle l’oeuvre est en tension ? je penche, bien sur, pour la seconde hypothèse, mais l’espace urbain n’est-il pas en lui-même si complexe qu’il dissout dans sa complexité toute forme qui lui serait rapportée ?
Et puis il y a cette puissance que développe l’espace urbain, puissance dont Léger, encore lui, pressentait bien qu’elle ne pouvait que rendre difficile la comparaison avec ce qu’il appelait « la construction plastique en Art », plus faible, forcément plus faible. Moi aussi je me demande encore, comme Duchamp visitant le salon de la locomotion aérienne avec Léger et Brancusi : « ...Qui ferait mieux que cette hélice ? Dis, tu peux faire ça ? » Et pour ma part je ne suis pas sure que la monumentalité soit la réponse qui me convienne.
Dans les années 90, à l’invitation de Antonio Gallego et Roberto Martinez, j’ai à trois reprises accepté de me déplacer sur un terrain qui n’était à priori pas le mien, pour participer à la création de tracts distribués sur la voie publique par des artistes (TRACT’eurs)*. L’invite était précise, les moyens réduits, et la dissémination des propositions, inscrite dans le projet lui-même.

Pour être franche, au moment de répondre au projet qui m’était proposé à Ivry, j’ai été très tentée de jouer là aussi la carte de la disparition, de l’infiltration, du profil bas, ou encore de la réponse utilitaire. En gros, décider de ne rien ajouter à un programme d’aménagement déjà entièrement défini en amont, mais faire, pourquoi pas, du mobilier urbain, bancs, éclairages, signalisation, bornes, trottoirs, caniveaux....
Je ne saurais pas bien expliquer pourquoi mais il m’est apparu que ce serait manquer quelque chose, et à vrai dire presque me défiler devant cette question de la faiblesse intrinsèque de l’art en regard de la ville. À tort ou a raison j’ai eu aussi le sentiment que l’attente est ces temps-ci plus forte en direction des oeuvres utilitaires, dans le sens parfois du degré zéro de l’oeuvre participative, ou même dématérialisée. Et je n’ai pas voulu répondre à cette attente. Il me semble que la nécessaire critique de l’oeuvre comme objet formel et sans nécessité que l’art conceptuel des années 60 et 70 a mené s’est pervertie aujourd’hui dans la banalisation des pratiques dites relationnelles, dont l’aspect discursif est primordial, et qui se sont révélées plus faciles à instrumentaliser dans le cadre des politiques culturelles. Cette attente plus ou moins explicite se fait à mon sens au détriment d’une relation moins quantifiable avec des oeuvres dont l’usage et même la valeur (quant à sa réception publique) sont beaucoup plus incertaines. Il doit être bien difficile de mesurer l’impact social de l’oeuvre de Sanejouand que Odile Lemée** nous a montré lors de son intervention hier, et on peut être effectivement tenté de jeter le bébé avec l’eau du bain de la « Plop- sculpture*** »...Le Balzac de Rodin est-il une « Plop-sculpture » ? Son absence de relation contextuelle annule-t-elle sa valeur artistique ?
A ce sujet je voudrais dire qu’à mon avis une oeuvre « réussie » n’est jamais seulement un objet, fut-elle une sculpture posée sur un socle.



Jean-Michel Sanejouand, Le Magicien, 2005, Bronze. Commande de la ville de Rennes pour la place de la gare.

J’ai donc décidé de faire....juste une sculpture....ou une sculpture juste...en essayant de ne pas faire de cette sculpture un objet, mais un machin, une chose étrange mais qui peut aussi être pratiquée, sur lequel on peut aussi s’asseoir, qui peut aussi servir de repère, de borne, de piquet à vélo, de table de pique-nique, de point de vue...aussi mais pas seulement ou pas essentiellement.Je n’ai jamais envisagé mon oeuvre comme s’adressant à un large public. La gageure était de recréer si possible un lieu, à partir d’une forme qui doit résister à sa dissolution par l’espace environnant, sans l’ignorer. Un lieu qui tente de permettre une relation individuelle à l’oeuvre, et qui incite au ralentissement, à l’insistance du regard, à partir de l’oeuvre et aux alentours. Autant dire que la mobilité, la mutation , qu’on a évoqué ailleurs pour parler du devenir des villes, n’est pas pour moi un thème à illustrer, ni un impératif catégorique, mais que ces termes s’inscrivent dans l’identité même des oeuvres qui résistent à tous les fonctionnalismes qui sont à l’oeuvre partout ailleurs, et à une définition strictement langagière et réductrice de l’art, par exemple sous le terme d’objet. Je n’entends pas l’oeuvre d’art comme un objet pédagogique, et quand je retourne voir pour la 10e fois une oeuvre que j’aime, cette oeuvre n’a pas besoin de se renouveler pour que le regard que je lui porte le soit.


Je ne sais si l’art est un vecteur de transformations urbaines. Ce que j’ai pu vivre en revanche lors de cette expérience de conduite d’un projet, c’est qu’au sein même des relations de travail qu’il faut établir pour réaliser un projet urbain, même modeste, il y a des transformations qui s’opèrent. Dans ce sens, l’art est un vecteur de modification des regards, des pratiques, des normes qui les dirigent.  Il faut trouver un langage commun avec des gens dont l’art n’est ni le métier ni l’espace mental, et dans ce langage se joue l’avenir d’une oeuvre qui trouvera ou pas son existence.
Des micro-transformations, en quelque sorte, qui se font alors à partir de l’oeuvre, et où à ce moment-là la dimension pédagogique peut intervenir.

La transformation, ce sont les ingénieurs du bureau d’étude où ma maquette est déposée, qui m’avouent avoir passé deux semaines à se demander ce que c’était que cet ovni.

Ce sont les ouvriers fondeurs, d’une fonderie qui ne fait quasiment que de la pièce mécanique, qui commencent par refuser ce que je demande car cela revient pour moi à payer pour renverser du métal par terre...une erreur volontaire, donc.

C’est Mr Linder, chef du moulage au sable, qui me dit qu’il n’a jamais fait « ça » en 40 ans de carrière, puis qui prend le temps de venir photographier l’oeuvre installée, pour fabriquer un CD avec musique et animations retraçant la fabrication de l’oeuvre.

C’est Mr José, coquilleur, qui en me regardant avec un grand sourire se baisse pour ramasser une éclaboussure de métal à coté de son poste de travail, et vient la poser à coté de mes propres flaques volontaires tout justes dégagées de leur sable...

C’est l’entreprise de serrurerie qui accepte le chantier de pose parce que ça les change du montage de portails, et l’apprenti qui demande à revenir sur notre chantier plutôt que d’aller monter des fenêtres.

C’est monsieur  Zir  qui veut bien me montrer le fonctionnement de sa fraiseuse multi directionnelle.
C’est le graveur sur pierre avec qui je parle d’art pendant une heure, en plein vent glacial, et que je ne convaincs pas...

Ce sont les discussions et travaux réalisés par les enfants de l’école de l’Orme-aux-Chats lors de l'atelier que je mène avec eux.

Que dire de plus ?"

cj jézéquel, 2007.





*Tract'eurs : nom donné par les artistes Antonio Gallego et Roberto Martinez, à une série d'actions menées dans l'espace public. Voir Anthologie Tract'eurs, ouvrage publié en janvier 2012 aux éditions Incertain sens, Rennes.
**anciennement conseillère en arts plastiques à la ville de Rennes.
***la plop-sculpture désigne ici une sculpture conçue sans relation évidente  avec le lieu qui l'environne, parachutée, en quelque sorte. Le terme est donc voulu plutôt péjoratif par ceux qui l'emploient...comme si une oeuvre devait forcément se soumettre de manière didactique au contexte pour être légitime.